A peine entrés dans l’établissement, un air de rock se jouait : Are you gonna go my way ?, Lenny Kravitz. Étrange comme ces mots résonnent en elle, comme si la question lui était posée intimement : et toi vas-tu suivre mon chemin ? Cette question, Laura se l’était posée des millions de fois, depuis des mois, des semaines, elle hantait son esprit, comme un écho qui retentit sans cesse. Les affres du temps avaient laissé leurs dommages, laissant terne cette magnifique photo quils offraient au reste du monde, et pourtant ils étaient les seuls à en avoir conscience. Le parfait amour nest-ce pas ? Si seulement

Les spectateurs ne voient jamais vraiment lenvers du décor, seulement ce quon veut bien leur montrer : de la poudre aux yeux, des artifices, des effets spéciaux. On voit les acteurs dans leur plus beaux costumes, maquillés, mis en valeur, parader devant un public ébahi, envieux parfois. Ils récitent leur texte, quils connaissent quasiment par cœur, seules quelques improvisations viennent réviser le script. Les mots sonnent plus ou moins justes, tant que les postures et les gestes ne les trahissent pas, tant quun œil averti ne voit pas au travers des trucages et des paillettes. Mais le public aime rêver, il aime les belles histoires, celles qui leur redonnent espoir et qui se terminent bien. Le fameux Et ils vécurent heureux, jusqu’à la fin de leurs jours, dont on aime à croire que lidylle est bien réelle. Pas toujours, pas pour tout le monde. Mais sauvons les apparences

Ils savancèrent alors dans la salle, au milieu des gens rassemblés, passant entre les tables, jusqu’à rejoindre un groupe damis. Des verres les attendaient déjà entre quelques bouteilles. Tous se saluèrent. Lui, avec grand enthousiasme, prit chacun dentre eux dans ses bras -c’était son groupe damis, depuis tant dannées quil ne comptait plus. Quant à elle, elle avait toujours été dans la retenue, se limitant à de simples politesses, à rire çà et là à quelques plaisanteries. Les échanges allaient bon train, sanimant de temps à autre : le ton tantôt montait, tantôt sapaisait, les rires fusaient. Parfois ils s’échangèrent des regards : ceux de Tom étaient toujours empreints de cette même gaieté, alors que les siens demeuraient inexpressifs, voire ternes. Elle ne semblait jamais se défaire de cette forme de gêne qui la muselait, le conférait cet air interdit, cette retenue. Elle baissa alors le regard, fixant de nouveau son verre, retournant à sa passivité, sans mot dire.

Mais que faisait-elle ici ? Elle tentait de se remémorer les raisons qui lavaient poussée à sortir ce soir, à le suivre. Une sorte de bonne conscience, qui la rappelait à ses devoirs, à une période où elle les avait complètement délaissés au profit de cette sempiternelle lassitude. Et à présent le malaise prenait déjà le pas sur le reste, éclipsant tout ce qui lentourait. La musique n’était plus quun bourdonnement lointain, seule la ligne de basse et les percussions rythmées résonnaient dans une sorte darrière-plan. Le brouhaha alentour ne représentait plus quun murmure, les tables demeuraient dans un brouillard épais, les dérobant quasiment à son regard. Les gens n’étaient plus que des silhouettes imprécises.

Autour delle, les éclats de rire s’était évanouis, les discussions se diluaient dans ce même murmure, les mots se confondaient. Elle ne discernait plus que le mouvement des lèvres desquelles ceux-ci s’échappaient. Le temps semblait s’être arrêté, à sa montre les secondes ne s’égrainaient plus, comme absorbées vers une autre temporalité, abandonnant ce monde-là à son immobilité et à son enlisement. Combien de minutes, dheures s’étaient écoulées depuis quils avaient investi les lieux ? Le mot éternité prenait alors tout son sens.

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