Je ne suis pas plus différent me direz-vous. Je n’ai sans doute rien de plus que vous à vos yeux. Je suis comme tous ces hommes, comme tous ces êtres de sang et de chair. Raphaël, 35 ans, divorcé, psychiatre misérable et incompris, enchanté. Mon quotidien et mes vocations m’ont rattrapé, dépassé, piétiné au passage. Les affres de ma pourtant si courte existence au demeurant, me tourmentent et me ridiculisent. Tant de choix fait par passion, chaque fois dans un élan fiévreux et exalté, et toujours cette excitation quant à la suite des événements encore incertains sur lesquels on brûle de lever le voile.

 

J’ai dévoilé bien trop de choses et de gens. J’ai découvert trop de réalité qui vous dépassent, nous dépassent, me dépassent. J’ai révélé des vérités magnifiquement dissimulées et bien souvent ignorées ou méprisées. Je me suis écorché, j’ai éprouvé chacune de mes découvertes comme une douleur perçante, car elles représentaient finalement toutes mes désillusions. Et chaque fois, la douce chaleur enveloppante de l’ignorance ou du déni, me délaissait un peu plus. Je m’étiolais, glissais invariablement vers un abîme dans lequel je me perdrais irrémédiablement. Car vous ne comprendriez pas. Vous ne pourriez pas me sauver.  

Alors ce soir j’arpente les rues encombrées de silhouettes humaines, toute distinctes et pourtant toutes similaires en soi. Je ne parviens plus à dissocier les visages dans cette assemblée défilant tout autour de moi. Des masques qui dansent sous les lumières des lampadaires et des enseignes publicitaires de la rue bondée et bourdonnante. Des pas effrénés, foulant l’asphalte et les trottoirs salis. Alors que les miens étaient lents, se faisant toujours plus hasardeux, hésitant. Quelle ruelle emprunter ? Dans quel lieux inconvenants et graveleux m’échouerais-je ? Dans quel temple de la débauche irais-je déverser mon intempérance et m’abandonner à l’ivresse ?

 

Je traversai la voie, sous les phares éblouissants des véhicules - ces monstres de ferraille. Des klaxons retentirent, m’intimant de délaisser ma léthargie méditative et d’accélérer l’allure. Je détournai le regard en direction du fameux véhicule responsable de cette cacophonie, aveuglé par la luminosité perçant l’obscurité nocturne. Le conducteur coléreux -un homme gras et avachi sur son siège derrière son volant-, s’agitait en tous sens. Il protestait et maugréait à mon intention, exaspéré par ma nonchalance. Je n’accélérai pas pour autant la cadence, et toujours tourné vers cet intempestif, je levai lentement mon bras et pliai le coude à hauteur de flanc, lui offrant un superbe doigt d’honneur. Et dans un sourire narquois j’ajoutai plus pour moi-même : “Je t’emmerde connard”. Puis me retournant pour me recentrer sur mon égarement, je ne prêtai aucune attention à sa réaction, et repris le cours de ma marche.

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